Du sang mêlé sur un trottoir d'Aboulhak ABINA
Du sang mêlé sur un trottoir d’Aboulhak ABINA
(Baudelaire - 2023)
Kevin, jeune skinhead, fait une virée avec ses amis, pour aller casser du négro et du bougnoule ; suite à cette rixe qui tourne mal, il est embarqué par les flics avec un négro bridé. Durant la garde à vue, il s’aperçoit que la police est plus violente que lui.
Par vice, les policiers enchaînent le skinhead avec le nègre et les mettent en cellule, certains qu’ils vont s’entre-tuer. Mais dans la nuit, ils arrivent à s’évader. Toujours enchaînés, ils vont être contraints de traverser la ville ensemble jusqu’à trouver une solution pour se libérer de leurs chaînes.
Il s’agit d’un roman d’anticipation. Le pays se retrouve gouverné par un Président à vie, qui a assis son pouvoir sur la terreur, les religions doivent être identifiables (vêtements, maison, lieux de culte) et la culture est interdite (livre, musique, cinéma…), les militaires ont tous les droits et la police est corrompue.
Kevin le skinhead et Namir le négro bridé vont devoir traverser une zone de non-droit dans laquelle la violence est omniprésente ; ils vont donc être obligés de se supporter ; comble de l’ironie, le négro bridé devient tantôt ennemi, tantôt compagnon d’infortune.
La nuit va être longue, avec des épreuves et des rencontres. Kevin et Namir vont devoir se soutenir, malgré eux, mais un long dialogue va avoir lieu, pour passer le temps et aussi pour comprendre.
D’où vient cette rage ? Cette haine de l’étranger ? Cette violence ? Kevin est-il vraiment le monstre qu’il laisse transparaître ?
Ce roman évidemment dénonce le racisme, les gouvernements totalitaires, mais montre également comment le glissement s’opère. Une loi, puis une autre, jusqu’à la privation des libertés. Comment la peur de l’autre est parfois instillée par les dirigeants : diviser pour mieux régner !
Dans ce climat de violence, d’angoisse et de terreur, cette nuit va aussi être l’occasion d’échanges, d’îlots de tendresse, d’émotions et surtout de réflexion ! Les discussions entre Kevin et Namir sont très enrichissantes, chacun donne son point de vue, s’explique puis réfléchit aux paroles de l’autre.
Aboulhak ABINA nous plonge dans un roman d’une humanité et d’une sensibilité rares ; il rend ses personnages très attachants. Il a pris le parti de ne pas juger d’emblée, mais d’expliquer, la source. Comment est généré le racisme, de quoi il se nourrit. Kevin, qui au commissariat se voit comme le « nègre blanc », lorsqu’il se rend compte qu’il est dans la même galère que Namir, dans le même combat.
Côté écriture, l’écrivain fait également un sans faute, c’est cru mais ce n’est pas vulgaire. Certes c’est violent, mais toujours avec une touche de sensibilité, et le but est atteint. Pourquoi accorder tant d’importance à la couleur de la peau ? Pourquoi la peur de l’autre ?
Quant à ce gouvernement totalitaire, qui a instillé la peur dans l’esprit des gens, avec des mesures de plus en plus drastiques, c’est une menace qui pèse encore aujourd’hui, même pour la France si nous n’y prenons pas garde.
On retrouve des situations auxquelles ont a tous été confrontés, des paroles qu’on a malheureusement tous entendues ; Ah ! Ces étrangers qui nous prennent notre travail ! Qu’est-ce qu’ils viennent faire chez nous ? Ils ne peuvent pas rester dans leur pays ?
Bref un magnifique roman d’aventures, sur le racisme, la politique, l’intolérance, les religions, les différences. Un roman vraiment incontournable, agrémenté d’illustrations réalisées par l’auteur, qui est également dessinateur et artiste-peintre. Quel talent !
À lire étendu(e) sur un tapis avec des coussins, en buvant un thé à la menthe (ou au citron) et en dégustant des pâtisseries orientales (des cornes de gazelle ou du baklava) et si vous avez des voisins dont la couleur de peau est différente, ce n’est pas grave, invitez-les à partager...
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